"Une société sans crise n'est pas une société de racisme exacerbé, la xénophobie et le racisme latent lui sont suffisants pour maintenir la cohésion des nationaux. La victime sacrificielle n'apparaît que lorsque les repères vacillent, que les institutions habituelles (État, parti, syndicat) n'assurent plus un fonctionnement harmonieux (conflictuel mais avec des règles de règlement de conflit) et ne sont plus des objets d'amour ou au moins d'investissement par les citoyens, lorsque le débat politique devient règlement de compte, lorsque la crise économique fait de chacun un être en sursis qui tend à sauver sa peau, à se laisser aller au « divertissement » et qui cherche désespérément les raisons de son désespoir et des raisons d'espérer.
Il
suffit alors qu'un illusionniste apparaisse, désigne à la vindicte publique l'adversaire et ses protecteurs, n'ait pas peur de délivrer un message d'intolérance (celui de Hitler était terrifiant, celui d'un Le Pen se contente d'être bon enfant : « Je préfère mes voisins aux étrangers »), propose des solutions simplistes qui redonnent à l'ordre ancien tous les atours qu'il avait perdus, pour qu'il soit écouté. Dans une société qui a porté la théâtralisation au maximum, ce n'est pas à la raison que les chefs peuvent s'adresser mais aux émotions les plus archaïques et au désir de mort de l'autre tapi en chacun des membres de la communauté. Comme il n'y a plus dans la situation française actuelle d'ennemi extérieur à combattre, il est nécessaire de susciter un ennemi intérieur qui puisse redonner cohésion à la communauté." (1991)